En ces temps troubles et portant au pessimisme, on piste des outils et usages, à défaut d’armes, qu’on trouve par exemple chez Anna Tsing dans « La champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme » (La Découverte, 2017). A la fin de son ouvrage, dans un chapitre intitulé « Au milieu des choses » (déjà tout un programme), Anna Tsing revient sur la nécessité de « mener une écoute politique » et en tout cas de « détecter les traces de programmes communs en devenir d’articulation ». Elle développe alors « en plein milieu de l’aliénation institutionnalisée » des « moments fugaces d’enchevêtrement » qu’elle nomme les « communs latents ». Voici comment elle définit ceux-ci (pp. 369-370) :
« Les communs latents ne sont pas des enclaves exclusivement humaines. Ouvrir les communs à d’autres êtres bouleverse tout. Une fois inclus les parasites et les maladies, difficile d’espérer l’harmonie : le lion ne dormira pas côte à côte avec l’agneau. Puis les organismes ne font pas que se manger les uns les autres : ils fabriquent aussi des écologies divergentes. Les communs latents sont ces enchevêtrements mutualistes et non antagonistes que l’on peut trouver au sein de ce jeu confus.
Les communs latents ne sont pas bons pour tous. Chaque niveau de collaboration fait de la place pour certains et en laisse d’autres dehors. Des espèces entières sont perdantes dans certaines collaborations. Le mieux que l’on puisse faire, c’est de viser des mondes « suffisamment bons », « suffisamment bon » étant toujours imparfait et à reprendre.
Les communs latents ne s’institutionnalisent pas aisément. Les tentatives pour transformer les communs en politique traduisent un courage digne d’éloge, mais elles ne captureront pas l’effervescence propre aux communs latents. Les communs latents s’insinuent dans les interstices de la loi : ils se déclenchent par le biais de l’infraction, par infection, par faute d’attention, voire par braconnage.
Les communs latents ne peuvent pas nous racheter. Certains penseurs radicaux espèrent que le progrès nous entraînera dans un commun rédempteur et utopique. A l’opposé, les communs latents sont ici et maintenant, immergés dans le trouble. Et les humains ne détiennent jamais pleinement le contrôle.
Étant donné cette caractérisation négative, il n’y aurait aucun sens à vouloir cristalliser préalablement des principes de base ou à chercher des lois naturelles dont dériveraient les meilleures situations. Au lieu de cela, je pratique les arts de l’observation. Je passe au peigne fin le désordre qui règne dans des mondes-en-train-de-se-faire, à la recherche de trésors dont chacun est singulier et donc dans l’improbabilité d’être à nouveau rencontré, au moins sous cette forme. »