Le Petit Alcyon

Les deux années précédentes, à la faveur du temps gagné et des sentiers empruntés, la famille a dessiné, écrit et photographié. Il en est ressorti un fanzine intitulé Le Petit Alcyon. Récits d’observations à hauteur d’enfant, conseils de lecture et même un mot croisé s’y succèdent, sous le haut patronage de La Hulotte… Mode fanzine oblige, on l’a juste offert aux proches et c’était bel et bon. Dans la mythologie grecque, l’Alcyon est un oiseau de légende, issu de la métamorphose d’Alcyone. Il me plaît de découvrir que le terme évoque, dans son étymologie, les notions de « mer » et de « être enceinte, concevoir ». L’oiseau en question a notamment été identifié au Martin-pêcheur, oiseau totem familial à plus d’un titre…

Sous les images, un extrait de ma plume intitulé Le Lucane et le vent.

Le Lucane et le vent

Une semaine de grosses chaleurs a vaincu la fraîcheur de la maison. Dans les terriers et recoins que nous avons aménagés, il n’y a quasi plus de différences avec l’extérieur. Il fait lourd, étouffant, nous en sommes abrutis, hagards. Mais ce soir, enfin, le vent se lève, et il nous souffle « orage » dans le creux de l’oreille. Ce type de vent n’est pas anodin. A chaque fois qu’il survient, nous nous rappelons que nous sommes petits face aux éléments. Bientôt en effet, des torrents de pluie, le tonnerre et les terribles éclairs, et nous émus derrière la fenêtre. Plus d’une fois, nous l’avons senti arriver, de manière discrète, mais immédiatement reconnaissable.

Une fois, il y a 15 ans, dans un camping d’un lieu désormais oublié du Sud de la France, il a à peine commencé à gonfler que les enfants se sont mis à crier et à courir dans tous les sens, comme pris de panique. Des appels de parents, vite se mettre à l’abri ! Nos voisins de parcelle, prêts à se barricader dans leur lourde caravane, nous proposent de trouver refuge chez eux, car nous n’avons pour abri qu’une modeste toile de tente. Nous crânons et alors qu’une heure plus tard, les éléments se déchaînent, nous finissons par nous précipiter dans la voiture. Tout n’avait commencé que par un simple souffle de vent…

Encore plus loin dans le temps, il y a trente ans, je m’apprête à rentrer dans la salle de cinéma de Céret, dans le Roussillon. Nous allons voir « Le nom de la Rose ». Tandis que quelques éclairs commencent à se voir sur les montagnes, le vent vient nous avertir du chaos proche. Je sors de la séance avec ma mère au bout de 30 minutes après avoir été horrifié par le film. L’image des jambes d’un cadavre jaillissant d’une marmite de poix me hante encore. Dans le hall du cinéma, nous ne trouvons pas une ambiance bien plus légère. Des trombes d’eau dévalent désormais les rues en pente. Des éclairs tombent partout, sans cesse. J’ai peur, car je redoute de perdre la vue en les regardant de manière trop directe. Toujours aujourd’hui, cette croyance continue à me faire fléchir le regard lorsque le spectacle d’un orage survient.

Des vents annonciateurs donc, de chaos et de destruction, des vents pythies qui rendent les enfants chamanes et maboules à la fois. Des vents pour lesquels nul contrevent n’est envisageable. Les éléments ont décidé de tourner la page, de secouer le paysage engourdi, de faire ruisseler la pluie pour nous donner des idées de monde neuf. Il faut s’y soumettre. Un jour, je raconterai cet arbre immense fendu en deux par la foudre, et ce que j’en ai fait, comme si un lien étrange, mais incontestable me reliait à ce pur phénomène de physique.

(Il y a aussi ce film sur un manteau de chamane evenk dans lequel une tornade survient alors qu’on interviewe une dame chamane âgée. Celle-ci se lève, attrape une hache, la lève et implore la tempête qui se calme aussitôt. Lorsque je montre ce film à mes étudiants, la projection se termine toujours par des murmures. Un peu de moquerie peut-être, mais aussi une forme d’excitation. Il s’est passé quelque chose à l’écran, et ce « quelque chose » ramène à ce moment de l’enfance où tempestaires sans le savoir, nous pensions avoir le pouvoir de commander aux éléments, de négocier avec eux)

(Enfants, nous nous arrogeons le pouvoir de petits dieux certes capricieux et arrogants. Mais le monde ne nous a pas épargné et mérite donc bien l’une ou l’autre secousse)

Le vent de ce soir n’arrive pas seul et se fait monture d’un invité de marque : le lucane cerf-volant. En vol, ce grand coléoptère, avec les ailes et les élytres déployés, peut inquiéter celui qui le voit passer. C’est encore plus le cas s’il s’agit d’un mâle pourvu de deux grosses mandibules. Quand on s’intéresse aux insectes, ce n’est pas rien de croiser le lucane, qui se fait de plus en plus rare. Il se trouve que de manière étonnante, des individus vivent dans le quartier. J’en ai d’ailleurs trouvé une femelle écrasée et desséchée sur le trottoir à deux rues de chez moi il y a un an ou deux. Ce soir, l’animal passe à quelques reprises au-dessus de la terrasse dans la lumière déclinante de l’orage imminent.

(chaque rencontre avec un insecte devrait nous intimer ce mot : « métamorphose »)

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